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Par Sarah Braun
4 mai · 13 mn à lire
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Jennifer Padjemi : « quand on met un corps en avant, on ne fait pas que ça : on parle de ce qu’il représente pour la société »

Pardonnez mon retard et, surtout, la longueur de cette newsletter. Mais il y a tant à dire sur le sujet – et dieu sait que celui-ci me passionne, qu’il m’a été difficile de couper.

Jennifer Padjemi est autrice et journaliste indépendante. Elle est notamment l’autrice du podcast « Miroir Miroir » et de l’essai Féminismes et Pop culture, grâce auquel je l’ai découverte. Un livre passionnant dans lequel elle décortiquait les liens qui unissent le féminisme et les œuvres de la culture pop. Deux ans plus tard, elle revient avec un essai tout aussi percutant, qui porte sur l’un de ses sujets de prédilection : le corps. Paru aux éditions Stock Selfie : comment le capitalisme contrôle nos corps dresse un constat aussi triste que stupéfiant : malgré les discours inclusifs, malgré le mouvement autour de la libération du corps des femmes, ceux-ci sont toujours assujettis au joug du capitalisme. L’autrice y dénonce notamment la responsabilité des industries et des marques, qui nous font miroiter un bonheur facilement accessible – et factice, of course ! – , du moment que l’on succombe à leurs sirènes.

Selfie : comment le capitalisme contrôle nos corps a été une lecture très instructive : elle m’a ouvert les yeux sur bon nombre de comportements dont, si j’en avais conscience, je n’en mesurais pas le poids et l’oppression, comme la dichotomie de modèles féminins très réductrice née du capitalisme, entre une femme blanche ultra healthy et fit et une femme racialisée hypersexualisée au corps sculptural. À titre personnel, Selfie a été une bouffée d’oxygène. D’ailleurs, pour tout vous dire, je me suis enfin décidée à mettre sur Vinted tous les vêtements que j’avais gardés de la période où j’étais anorexique. Je ne suis pas sûre d’avoir encore totalement intégré que ma valeur n’avait aucun rapport avec la taille de mes fesses, mais je pense, grâce à ce livre, être sur le bon chemin.

J’aurais pu passer toute l’après-midi à discuter avec Jennifer Padjemi tant son discours est éclairant. Rencontre avec une autrice formidable et bienveillante, dont je ne peux que vous inciter à lire les livres.

Vous êtes l’autrice de « Miroir Miroir », un podcast qui aborde toutes les questions relatives au corps, à l’apparence, à l’image. Quel a été le déclencheur qui vous a poussée à écrire Selfie ? En quoi diffère-t-il de votre podcast ?
La pandémie a été un véritable déclic ; j’ai eu envie de continuer à explorer ce sujet, sans pour autant faire un livre de podcast. Je voulais surtout aller plus loin : notre rapport au corps, à l’alimentation, à l’image et aux réseaux sociaux a beaucoup changé pendant la pandémie ; celle-ci a amplifié les complexes et les comportements, et notamment des comportements commerciaux. Je me suis dit qu’il y avait vraiment quelque chose à creuser, pour comprendre tout ça. Selfie est à la fois une forme de continuité de « Miroir Miroir », mais, en même temps, une approche différente pour tenter de comprendre où nous en sommes actuellement. Et même si on a déjà beaucoup parlé de chirurgie esthétique, de médecine esthétique, etc., j’avais besoin d’aller plus loin et de comprendre, plutôt que de juger. 

Selfie commence ainsi : « Je suis hypocrite, comme vous. J’ai fait des régimes, me suis déjà trouvée trop grosse. Le maquillage me sert de filtre face au monde. J’ai déjà brûlé mes cheveux pour qu’ils soient plus lisses. Annulé un rendez-vous à la dernière minute parce que je me trouvais moche. Au fond, je sais que je suis jolie, mais qu’est-ce que cela veut vraiment dire dans une société où la beauté est hiérarchisée par avance ? » Était-ce important, pour vous, de partir de votre expérience pour construire cet essai ?
Quand on aborde ce type de sujets, je pense que c’est important de s’inclure dedans. Parce que je ne suis pas simplement témoin de l’expérience, je participe aussi, je suis active. Victime, même. C’est important de pouvoir aussi offrir ce contrat de confiance aux lecteur.rice.s, de leur dire tout de suite : « je ne suis pas là pour vous juger, parce que, moi aussi, je fais la plupart des choses que je dénonce, que j’avance et que j’analyse dans cet essai ». Je ne veux pas être dans un truc où l’on se pointe du doigt et que l’on rejette la faute sur l’autre. Il y a bien des responsables et ce sont les industries. C’est donc une manière pour moi de dire : « ne vous inquiétez pas, ma parole n’est pas culpabilisante ni dans le jugement. Je suis aussi concernée par ces questions que vous. »
D’une manière plus générale, je pense également qu’il est important, en tant qu’autrice, de savoir où on se situe par rapport à tout ça. De savoir donner des clés de situations, de dire que je parle à tel endroit, à travers tel regard. Mon expérience est donc celle d’une femme noire, vivant à Paris ; elle ne serait pas la même pour une personne qui vit dans une autre ville, ou qui n’a pas forcément le même environnement social ou racial.

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