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Par Sarah Braun
12 mai · 6 mn à lire
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Ce que je n'ai pas lu en avril

Non, ce n'est pas une coquille de ma part ; je n'ai pas lu en avril. Enfin, presque pas. Alors que je tenais une plutôt bonne cadence depuis le début d'année, la flemme est arrivée. « And voilà. » Vous avez dû d’ailleurs le remarquer, la cadence de newsletters s’est ralentie.

Non pas que je n'ai rien à lire, au contraire, mes différentes piles débordent toujours autant ; mais tout me tombe des mains. Peut-être est-ce cet entre-deux rentrées littéraires, sorte de creux de la vague ? Ou alors le marathon de lectures des mois précédents ? Le temps (satané printemps) ? La fatigue ? Bref, peu importe la raison, j’ai moins lu. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai quand même quelques (excellentes, of course) suggestions à vous faire. Sans compter que j’ai regardé pas mal de séries : il y a vraiment plusieurs pépites que j’aimerais partager avec vous.

Pour commencer, des lectures bouleversantes… (pour changer un peu !)

Tout d’abord, Pleine et douce, de Camille Froidevaux-Metterie, paru aux éditions Sabine Wespieser. Pour son premier roman, la philosophe a choisi une forme polyphonique, puisqu’elle donne la parole à douze femmes. Douze voix, douze styles d’écriture : d’entrée de jeu Pleine et douce est une jolie prouesse littéraire. Ainsi faisant, l’autrice donne la parole à cette joyeuse constellation féminine, qui toutes convergent vers un seul et unique événement : la naissance de la petite Eve, dont on s’apprête à célébrer la venue au monde. 

Lorsqu’elle a voulu un enfant, Stéphanie n’a pas réussi à se résoudre à rentrer dans le modèle hétéronormé -  pour ne pas dire has been -, de la famille. Cet enfant, elle l’a fait « toute seule », au grand dam de sa mère, Nicole - le chapitre qui lui est consacré est génial d’ignominie, j’ai cru entendre ma grand-mère (il faudra que je vous parle d’elle, un jour) - même si elle a demandé à Greg, son meilleur ami, d’en être le « père intime » (c’est joli, non, cette expression ?). Stéphanie entend bien créer autour de ce bébé providentiel - Eve n’est pas un prénom choisi au hasard - un nouveau modèle de famille. 

Le récit débute donc par la voix d’Eve, le bébé, qui, du haut de ses quelques jours, évalue l’effervescence autour d’elle. Avant que celle-ci ne cède sa place à Stéphanie, et ainsi de suite… Tour à tour, toutes ces femmes qui gravitent autour du divin enfant laissent libre cours à leur flot de pensées. Cette naissance n’est pas anodine, et provoque, chez chacune, un réexamen de sa vie de femme. Toutes sont d’ailleurs à un moment charnière - pour ne pas dire crucial -, heureux ou malheureux, de leur féminité : il y a les premières règles, cette « petite noisette » logée dans le sein de l’une, le couple qui bat de l’aile chez l’autre, laissant la porte grande ouverte à l’adultère. Il y a l’anorexie, aussi ; et puis le viol. Toutes ces femmes disent la difficulté de leur condition. Comme les petites bonnes fées autour du berceau de La Belle au bois dormant (pardonnez-moi la référence), chacune prophétise ce qui adviendra dans la vie de femme d’Eve. Tout est à construire, pourvu que leurs expériences aident l’enfant à traverser les siennes.

Un très joli roman choral, vraiment touchant et vrai, éminemment poétique. Fidèle à son sujet de prédilection, Camille Froidevaux-Metterie raconte avec discrétion, pudeur et élégance le corps des femmes.

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