Il faut dire que j’étais plutôt impressionnée, car Géraldine, je l’admire beaucoup. Je la suis depuis ses tout débuts sur Internet, lorsqu’elle tenait son blog « Café Mode ». J’ai continué à la lire sur L’Express Style ou encore dans Marie Claire, pour lequel elle écrit depuis 2020, et, bien sûr, son compte Instagram. Je ne la connaissais pas en tant qu’autrice avant de me plonger dans L’Âge bête, son second roman. Je n’avais jamais osé ouvrir Un Cancer, pas si grave (rapport à mon hypocondrie chronique) : il attend toujours patiemment son heure dans ma bibliothèque. La lecture de L’Âge bête fut une grande surprise : si j’y retrouve sa douceur, sa proximité et sa sincérité, je ne m’attendais pas - justement - à tant de sincérité. Car elle n’y va pas pas quatre chemins pour raconter l’ado qu’elle était : « l’adolescence, c’est l’expérience de la honte » a-t-elle d’ailleurs confessé au micro d’Anne-Laure Baratin. L’Âge bête est un roman joyeux et d’une sincérité désarmante, une lecture tendre et nostalgique, qui raconte évidemment la honte, mais bien plus encore la vie.
Pourquoi as-tu choisi de commencer ton livre par ce chapitre en particulier ?
Au départ, j’avais choisi de commencer l’histoire par le chapitre « Éclat d’encre ». Mais, à la relecture, j’ai finalement trouvé plus incisif ce chapitre « Tout peut arriver » : je me suis dit que la lectrice qui prenait ce livre en main avait plutôt envie de lire quelque chose de drôle, de percutant. J’ai donc décidé de commencer par ce chapitre :
Tu pues, va te mettre du deo. »
Hors d’haleine, j’ouvre la porte du réfrigérateur, en sors deux yaourts Velouté nature, attrape un verre dans le placard, une cuillère dans le tiroir.
« Tu m’entends Géraldine ? Tu sens la transpiration. »
Je hausse les épaules, verse une rasade de sucre sur les yaourts, fais couler de l’eau du robinet dans le verre, monte l’escalier et claque la porte de ma chambre. (p.11)
Qui plus est, l’image de la femme Impulse (je vous laisse découvrir la pub de cette marque de dédorant sur ce lien de l’INA,) a longtemps contribué à ma pensée. J’ai l’impression d’avoir été élevée à une époque où, quand tu es une fille, on te conditionne dans l’idée qu’il faut être choisie entre toutes les autres. Et on a été tellement bien formatée que l’on a accepté cette posture ; alors que, quand on y réfléchit, ça n’a rien d’automatique ! De nos jours, il y a quelque chose de beaucoup plus proactif, en particulier grâce aux réseaux sociaux, qui permettent de prendre sa place et de se faire entendre, sans être dans une position passive, sans attendre d’être l’élue ou simplement choisie par les autres. Désormais, c’est nous qui décidons où nous avons envie d’aller, à qui nous avons envie de nous adresser. Je pense que c’est un véritable changement de postulat. Ma génération subissait une forme de passivité, héritée de générations et de générations de femmes avant elle. C’est un bagage très lourd, nous revenons de loin, et je suis contente de voir que la société commence véritablement à changer.
Chacun des chapitres de L’Âge bête correspond à une anecdote particulière de ton adolescence. Pour laquelle as-tu le plus de tendresse ?
Je dirais les chapitres qui racontent certaines de mes hontes passées : tout cela me semble tellement moins grave à présent que j’ai dit tout haut ce que j’avais passé tant d’années à dissimuler. Je refusais catégoriquement que ça se sache. Finalement tout cela n’était pas si grave. On porte tous en nous des choses très lourdes, des hontes qui nous semblent insurmontables : à partir du moment où on les verbalise, elles deviennent tout de même nettement moins impressionnantes. Que ce soit d’ordre sexuel, sur ma virginité, ou que ce soit le fait d’avoir fait pipi dans ma culotte en classe : toutes ces choses me pesaient. Maintenant je les regarde avec plus de recul et je les trouve attendrissantes. Tout passe finalement, rien n’est jamais si grave.
Justement, je voudrais revenir sur certains chapitres, où tu évoques de façon assez crue ta sexualité : comment tes lectrices ont-elles réagi ?
Quand ma communauté m’a dit qu’elle avait été choquée par certains passages, je n’ai pas tout de suite compris pourquoi, je ne suis pas la première autrice à parler de sexe dans un livre. Mais je crois avoir deviné ce qu’il s’est passé : de par ma forte présence sur les réseaux sociaux, les gens se sentent proches de moi, je suis un peu comme une cousine, une copine, à la différence des autres auteurs que l’on ne connaît pas. Et je pense que certains n’avaient pas envie de rentrer dans ce degré d’intimité là. C’est le même mécanisme qui a d’ailleurs fait que ma maman n’a pas souhaité lire le livre : elle estime qu’elle n’a pas à en savoir autant sur sa fille ni à entrer dans un tel degré d’intimité. Ce que je comprends totalement ! Je n’avais pas prévenu mes lectrices de cela.
Je comprends, et de mon côté j’ai plus été dérangée que choquée par certains passages. J’ai compris après coup qu’ils me renvoyaient à ma propre adolescence, mes hontes, mon rapport à la sexualité…
J’ai eu également pas mal de retours en ce sens. En fonction de la personnalité de celle qui lit : certaines lectrices n’avaient aucune envie d’être confrontées à cela chez elles, quand d’autres m’ont dit « ça m’a secouée, ça m’a fait du bien ». Effectivement, j’ai une façon d’écrire qui force à se regarder : il faut être prête à cela !
Crois-tu aux vertus thérapeutiques de l’écriture ?
Oui complètement, mais on ne peut pas anticiper ces vertus thérapeutiques. J’ai rédigé ce livre pour partager des souvenirs, des émotions avec mes lectrices, mais je l’ai d’abord écrit pour moi. Et je dois reconnaître que ça a complètement rempli sa mission ; pourtant, je ne savais pas quel chemin ça prendrait. En quoi ça serait thérapeutique. Je ressentais ce besoin de passer au filtre de ma maturité ce que j’avais vécu plus jeune : ça m’a largement aidé à y voir plus clair, dans mes relations avec ma famille, avec mes amis. J’ai déconstruit des schémas, dont je pouvais déjà avoir conscience, mais que je continuais à perpétrer malgré moi. J’ai réussi à mettre davantage de distance, jusqu’à m’en détacher complètement. Je m’en suis rendu compte, quelques semaines après avoir fini le livre, que des choses se sont mises en places dans ma vie personnelle, un peu comme par hasard, alors qu’il n’y avait pas vraiment de relation directe de cause à effet. Mais tout était plus apaisé, j’ai gagné en confiance en moi.
Pourquoi as-tu choisi de glisser parmi tes anecdotes passées des chapitres contemporains dans lesquels tu réfléchis à ta démarche ?
Ces pauses narratives se sont naturellement imposées à moi : j’écris pour y voir plus clair et j’avais besoin de ces chapitres pour comprendre ce qui se jouait dans ma démarche d’écriture. Mais je ne sais pas si je suis capable de fonctionner différemment, en fait ! Ce n’était, en tous cas, pas une démarche consciente de ma part.
C’est un peu la même démarche que celle que ton journal que tu écris tous les jours ?
C’est vrai que ça participe de la même logique. Mais j’avais besoin que le lecteur suive cela aussi, parce que le sujet de mon livre c’est une réflexion sur l’adolescence, mais ça se joue aussi dans le processus d’écriture du livre. Parce que c’est une réflexion sur le souvenir : les souvenirs nous échappent, ils ne sont, en fin de compte, qu’une sorte d’illusion. Et si on n’aborde pas le souvenir en tant que tel, on n’a qu’une seule partie de l’histoire. C’est vrai qu’on ne se raconte toujours qu’une partie de l’histoire - la sienne -, mais là, il manquait un trop gros morceau.
P. 216, tu écris : « Exister, pour moi, c’est consommer » : peux-tu revenir sur cette phrase ? Penses-tu que cette pensée soit symptomatique de l’adolescence ou plutôt des années 80-90 ?
Je pense que c’est une réflexion venue avec la maturité. Les jeunes d’aujourd’hui, ok, c’est la génération Greta Thunberg ; mais c’est aussi la génération She In ! Je pense que l’on a besoin de passer par l’hyper consommation pour se construire, même si, bien sûr, ce n’est pas le cas de tous les adolescents. C’est aussi sûrement une question d’éducation : ma maman adorait aller faire du shopping, c’est quelque chose qu’elle m’a transmis d’une certaine façon. Je ne pense pas que j’aurais agi différemment. Avec la maturité, on peut se dire : c’est vrai, on a beaucoup consommé et qu’en a-t-on retiré ? Finalement, ce n’est pas aussi satisfaisant qu’on le croyait. A ce moment, on peut peut-être se diriger vers une autre manière de consommer. Personnellement, je pense qu’il faut que jeunesse se passe. On a beau jeu, en tant qu’adultes, de dire : « oh la la, ce n’est pas bien de surconsommer », tant qu’on n’est pas passé par là, on ne peut pas juger. Et puis, reconnaissons aussi qu’il y a un vrai plaisir à consommer.
Quel conseil donnerais-tu à l’adolescente que tu étais ?
J’aurais envie de lui dire que ça va bien se passer, qu’elle pouvait se faire confiance et qu’elle avait bien davantage de ressources qu’elle ne l’aurait cru. J’avais tellement peur de ne jamais trouver l’amour ni un métier qui me plairait : finalement j’ai trouvé tout ça. Mais, surtout, je me dirais d’écrire. Il y a un passage très célèbre dans la toute première lettre des Lettres à un jeune poète de Rilke, qui explique qu’il ne faut se lancer dans l’écriture que si l’on ressent que c’est une absolue nécessité (vous pouvez retrouver ce passage aux pages 36-37 du lien suivant). Je trouve ça complètement idiot : ça inhibe d’emblée les personnes qui ne sont pas sûres d’elles, qui se demandent si elles sont faites pour l’écriture. Il faut être suffisamment sûre de soi, pour écrire, et encore plus lorsqu’on est une femme ! On ne peut pas vraiment dire qu’on nous a conditionnées pour écrire… Ça prend du temps de prendre confiance en soi, en son écriture, et ça peut commencer par le seul fait de se dire : oui je peux bien vivre sans écrire, mais je me sentirai bien mieux si j’écris. Cette lettre de Rilke m’a fait perdre beaucoup de temps, j’ai pris ce conseil au pied de la lettre et j’ai refermé mon ordinateur en me disant : « non tu ne vas pas écrire ce bouquin, tu n’es pas assez sûre de toi ! » Et cette idée est tout de même largement reprise par des auteurs qui ont déjà écrit plusieurs livres. J’en ai plus que marre de la figure de l’écrivain à son pupitre, avec un litre de café pour traverser la nuit et créer… Eh bien non, ce n’est pas ça écrire : écrire est une quête. Et que je veux bien admettre que l’écriture n’est peut-être pas pour tout le monde, c’est très difficile d’écrire. Mais tout le monde a le droit d’être encouragé à le faire. On doit laisser croire aux gens que c’est possible.
Les trois questions de la fin
Quel est le dernier livre qui t’ait plu ? D’images et d’eau fraîche de Mona Chollet, une autrice que j’apprécie et avec qui je partage cette passion des images et des moodboards. (Géraldine a d’ailleurs écrit une newsletter à ce sujet ! )
Quel est le livre que tu aurais adoré écrire ? Je n’ai pas vraiment envie de m’approprier le travail de quelqu’un, écrire est trop personnel, mais peut-être Autant en emporte le vent, parce que c’est une histoire universelle qui a touché de nombreuses femmes.
Avec quel auteur.rice aimerais-tu passer une soirée ? Joan Didion !
Son actu ?
Géraldine est très présente sur son compte Instagram, sur lequel elle publie tous les jours (ou presque). Vous pouvez également la retrouver chaque vendredi, dans sa géniale newsletter De beaux lendemains. Elle anime aussi chaque mois des ateliers en ligne très inspirants sur les réseaux sociaux, le développement personnel et la créativité au sens large.
Pour aller plus loin
Dans les récits d’adolescence, Géraldine vous conseille la lecture de l’excellent Claudine à l’école, de Colette : “un élan, une singularité, qui aide à être libre. Colette nous a fait un vrai cadeau en imaginant ce personnage de Claudine qui s’affranchit des règles".”
De mon côté, je vous conseille une lecture plus récente : Avalanche, le tout premier roman de Raphaël Haroche (oui, oui, le chanteur de “Caravane”) paru en collection Blanche chez Gallimard. J’avoue, j’y suis allée à reculons ; je ne suis pas une grande fan de sa musique. Mais j’ai été bluffée par ce roman aussi dur que mélancolique. Il n’y a pas eu une page où je n’ai pas eu les larmes aux yeux.
1989. Léonard (le narrateur) et Nicolas sont petit frère perdent leur mère dans un tragique accident de voiture, le père voyage sans cesse pour son travail (et ne semble guère avoir envie de s’occuper de ses deux rejetons) et leur babouchka commence à se faire bien vieille. Les deux gamins sont donc envoyés dans un internat pour “gosses de riches”, en Suisse. L’aîné se plie assez vite aux moeurs de l’établissement, tandis que le petit détonne avec ses cheveux roux, son hypersensibilité et ses cailloux magiques qui lui permettent de garder le lien avec la mère morte. Un très belle lecture.
Une dernière petite reco’ pour la route : si l’écriture vous démange et que vous n’osez pas sauter le pas, écoutez le replay de l’émission du 14 février de Grand bien vous fasse, dont le sujet était “Pourquoi écrire fait du bien ?” : inspirant et super intéressant !
Un grand merci encore à Géraldine de m’avoir accordé un peu (beaucoup) de son temps.
Un tout aussi grand merci à vous de me lire et me soutenir : à très vite pour de nouvelles lectures !
L’Âge Bête, Géraldine Dormoy, aux éditions Robert Laffont.
Crédit photo : Alice Tatham @thewildwoodmoth