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Par Sarah Braun
19 juil. · 6 mn à lire
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Fiona Schmidt : «  Si je n’étais pas confiante, je ne serais pas féministe ! »

Dans deux mois et , j’aurai 40 ans. Pour vous ça ne signifie peut-être rien, mais pour moi, ça veut dire beaucoup… Pourtant, je n’ai jamais eu (trop) de mal avec mon âge ; d’ailleurs mon psy vous dirait que je suis « le cliché parfait de l’adulescente » : je l’ai viré depuis, enfoncer des portes ouvertes je sais très bien le faire toute seule.

Blague à part, voilà plusieurs semaines que je me demande pourquoi ce cap de la quarantaine me donne une telle boule au ventre.

Je l’ai compris en lisant Vieille Peau, le dernier essai de la géniale Fiona Schmidt (paru aux éditions Belfond), qui, une nouvelle fois, part de sa propre peur de vieillir pour créer un réçit universel, pertinent, ultra documenté et éclairé (et forcément éclairant). Dans Vieille Peau, elle dénonce bien évidemment le patriarcat et le capitalisme qui font le lit de l’agisme, mais surtout elle démontre comment les femmes sont les premières touchées par ce diktat du bien vieillir, avec toutes les injonctions contradictoires que cela implique…

 Quand j’appelle Fiona, je ne peux m’empêcher de la remercier pour ce livre, forcément inspirant, mais bien plus pour le rôle qu’elle a joué dans mon « accession » au féminisme. Car avant de lire l’un de ses textes où elle expliquait - en toute humilité - combien elle était une féministe imparfaite (et dans lequel elle citait Bad Feminist de Roxane Gay), je ne pensais pas pouvoir m’engager pour leurs combats. Ainsi commence notre entretien…

Fiona Schmidt : Ce que vous me dites me fait beaucoup de bien, parce que, figurez-vous que Konbini vient de publier une vidéo, une interview au sujet de Vieille Peau. Je suis très fière de cette vidéo pour une fois, alors que je suis très dure avec moi-même et déteste me voir à l’écran. Je m’attendais à ce qu’il y ait des commentaires désagréables, mais là, je faceface à une telle déferlante de haine… J’ai beau être habituée, j’ai été surprise par la violence des réactions sur un sujet qui n’est pourtant pas très polémique. Bien entendu, les commentaires portent moins sur mon discours que sur mon apparence, qui suscite des réactions contradictoires : on me reproche à la fois d’avoir l’air plus vieille que je ne le suis et de ne pas avoir assez de rides pour mon âge, c’est délirant… et en même temps, ça confirme tout ce que je dis dans mon livre.

Qu’est-ce que cela signifie, selon vous ?

 F.S : Que les gens ont toujours un problème dès lors qu’une femme exprime publiquement ses idées ! Les femmes sont toujours regardées avant d’être écoutées. Et les féministes sont encore plus scrutées, encore plus durement… Personne ne commente le look, la coupe de cheveux ou l’apparence physique d’un homme qui parle derrière en écran, alors que chez les femmes, c’est quasi systématique - qu’on parle d’elle en mal ou en bien, peu importe : ce qu’elle paraît passe avant ce qu’elle dit.

Donc non seulement les femmes sont moins nombreuses dans les médias, où la parité est encore loin d’être atteinte, surtout lorsqu’elles ont passé la cinquantaine, mais en plus, quand elles sont médiatisées, on ne leur accorde pas la même attention, la même légitimité qu’aux hommes. Quoiqu’elles disent, elles seront décrédibilisées, soit parce qu’elles sont trop jolies, soit parce qu’elles ne le sont pas assez…

Pourquoi le corps des femmes est toujours un sujet qui dérange ?

F.S : Ca tient au fait que les femmes prétendent justement à être davantage que des corps, et à faire entendre leur voix. Et puis la plupart des gens ont encore du mal à admettre qu’une femme dispose de son corps comme elle l’entend, en dehors des normes esthétiques en vigueur. Dans mon livre, j’évoque le botox shaming, qui relève du même principe que le body shaming : au nom de quoi on déciderait qu’une femme a « abusé » de la chirurgie esthétique ? Qui est-on pour décider à sa place quelle apparence elle devrait avoir ? Qu’elles se soucient « trop » de leur apparence ou qu’elles ne s’en soucient « pas assez », les femmes ont toujours tort. On prétend que les « vrais » combats féministes sont derrière nous, mais on a la preuve au quotidien qu’on a encore beaucoup de chemin à faire… Et la route est d’autant plus rude qu’on est en plein backlash : les avancées des droits des femmes de ces dernières années ont rencontré des résistances extrêmement virulentes, incarnées par la montée en puissance de la droite réactionnaire et de l’extrême-droite.

Est-ce parce que tout a été trop vite ?

 F.S : Il est vrai que l’évolution sociétale a été rapide ces dernières années. Grâce à #MeToo, des millions de femmes se sont rendu compte que les comportements qu’elles supportaient parce qu’elles les jugeaient « normaux » étaient en réalité intolérables. Cette prise de conscience a été suivie d’une prise de parole qui a été très mal vécue par la classe dominante, pas prête à se remettre en cause et à faire évoluer des comportements désignés comme étant problématiques par les dominé.e.s. C’est très compliqué de tout déconstruire, aussi vite, de changer de lunettes pour regarder le monde tel qu’il est, dans l’objectif de le changer. C’est la raison pour laquelle une minorité de femmes se réclament d’être féministes, et qu’une majorité d’entre elles continuent de se méfier du féminisme : les stéréotypes ont la vie dure…

Parce que le patriarcat continue de jouer sur les rivalités entre les femmes ?

F.S : Ca joue, évidemment. Quand les relations entre femmes ont été principalement dépeintes sous le prisme de la rivalité, c’est compliqué de considérer l’autre comme une alliée et pas comme une rivale. Vivre dans une société où les femmes sont dénigrées, et où les féministes le sont encore plus ne donne pas super envie de le devenir, je le conçois… Rester dans le déni est plus confortable socialement. C’est épuisant d’être féministe et militante. C’est très gratifiant aussi, bien sûr, mais ça use, émotionnellement, mentalement, d’autant qu’il y a beaucoup de travail à faire, et peu de personnes pour le faire. Il faudrait que les enfants soient davantage sensibilisés aux questions de discriminations, et pour cela, que des moyens supplémentaires soient déployés, notamment dans l’éducation. 

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