Je l’ai découverte grâce à son premier récit Sans Alcool, dans lequel elle raconte son chemin vers l’abstinence et questionne plus largement l’omniprésence de l’alcool dans la société et ses conséquences sur les femmes. J’ai adoré. Puis j’ai dévoré son second livre (et premier roman), Féminin, dans lequel son personnage Frankie se heurte notamment à une triste réalité : le féminisme et l’inclusivité des médias féminins ne sont qu’une façade qui sert la soupe des annonceurs. Pour être totalement honnête, j’ai pleuré en le lisant, tant la violence qu’elle raconte faisait écho à ma propre expérience. Ce livre (lu précisément le 14 septembre 2022, alors que j’étais en voyage de presse - quelle ironie) a définitivement achever de modifier ma façon de penser. C’est donc parce que ses livres ont eu une influence toute particulière sur moi que j’ai souhaité commencer avec Claire Touzard.
Comment est organisée ta bibliothèque ?
Il y a des livres partout ! À côté de mon lit, il y a des piles avec les livres que je suis en train de lire. Sur l’étagère à côté, ce sont ceux qui m’attendent. Il y a des bibliothèques dans l’entrée, dans le salon… On y trouve aussi les livres de mon mec : pas mal de beaux livres de photos et des romans. Je ne les classe pas, mais ils sont tous rangés par catégorie. Pour moi, il y a des « sortes de familles », un peu évidentes ; par exemple, tu trouveras toutes les autrices et essayistes féministes que j’aime ensemble. Idem pour les auteurs américains, hommes et femmes, que j’ai beaucoup lus quand j’étais plus jeune. Il y a aussi un endroit où sont rangés tous les essais sur la désobéissance civile, avec Naomi Klein… Comme ça, quand j’ai envie d’une forme de pensée, je sais exactement où me diriger.
Tu relis souvent les mêmes livres ?
Plutôt les mêmes auteurs. Il y en a certains auxquels je suis très fidèle, comme Emmanuel Carrère ou Florence Aubenas, dont je ne rate aucune publication. Parfois je relis certains livres que j’ai beaucoup aimés. Je trouve intéressant de les reprendre à différents épisodes de ta vie : tu ne comprends pas la même chose à 20 ans qu’à 40. C’est super de voir qu’une histoire ne te marque pas de la même façon, selon ton âge ou l’état d’esprit dans lequel tu te trouves. En ce moment, j’ai très envie de me replonger dans Jane Eyre, de Charlotte Brönté, par exemple.
Quel genre de lectrice es-tu ?
Je suis une lectrice impatiente ! Il faut que ça me plaise toute de suite… Mais j’ai appris avec l’âge à changer un peu. Il y a des livres qui ne m’ont étonnée qu’à la moitié, alors parfois je me force un peu. Mais c’est vrai que je suis du style à dire : je rentre tout de suite dedans, ou pas du tout ! Et souvent, soit j’aime beaucoup et je dévore ; soit je peine un peu et je suis tentée de le laisser…
Est-ce que ta façon de lire diffère lorsque tu es en vacances ?
Je lis beaucoup plus. Durant l’année, je choisis surtout des livres en fonction des sujets sur lesquels j’écris. Donc il y a deux piles chez moi : des ouvrages plutôt de l’ordre de la recherche, même si ça reste souvent du plaisir ; et pour le soir des livres différents. Mais c’est vrai que j’aime avoir du temps devant moi ; c’est pour cela que je bouquine beaucoup plus quand je suis en vacances. Le reste de l’année, je lis presque plus la journée que le soir.
Tu arrives facilement à lire plusieurs livres en même temps ?
Oui, et j’aime bien ça. J’ai souvent en cours un roman et un ou plusieurs essais. J’aime alterner.
Qui t’a initiée à la littérature ?
Ma mère qui était institutrice mais qui, surtout, s’occupait d’un biblio-club. J’allais souvent l’aider, je rangeais, il y avait une conteuse. J’adorais. Ma mère lisait énormément de littérature jeunesse, et elle m’a beaucoup initiée. Elle m’a fait surtout lire des personnages féminins. Très jeune, j’ai parcouru de nombreuses histoires de femmes à travers le monde, des choses et des regards très différents de ce que je lisais à l’école. C’est ça qui m’a menée à l’écriture.
Tu as commencé à écrire très jeune ?
Oui, quand j’étais petite, ma grand-mère nous gardait après la classe. Je remplissais des carnets avec des histoires de femmes que j’inventais. Je dessinais aussi beaucoup. Toujours des femmes !
Que cherches-tu dans la lecture ?
J’aime bien m’attacher aux personnages. Je suis très portée par eux ou par une ambiance. J’aime quand un livre me touche par une philosophie un peu nouvelle, un regard. Tu peux lire plein de versions différentes d’une même histoire : c’est vraiment le regard de l’auteur, du narrateur qui va changer la donne, t’amener à faire un pas de côté. Je trouve ça super important. Il y a aussi la modernité de sa réflexion qui compte beaucoup, la langue aussi. J’aime assez peu les récits contemplatifs avec beaucoup d’allégories, je m’ennuie trop.
J’ai vraiment été bercée par la littérature américaine, j’aime beaucoup les récits à la frontière entre le roman social et l’essai, comme la littérature de Joan Didion, de Susan Sonntag ou Tom Wolfe. Et encore, Wolfe, c’est différent, parce qu’on est déjà presque dans la satire. J’aime le roman social, intelligent.
Quels livres as-tu emportés dans ta valise ?
Délivrance de Toni Morrisson, que je n’avais pas encore lu. Leonora Miano aussi que j’adore, et son dernier livre : Stardust, je suis en train de le terminer. J’ai aussi pris Celles qui ne meurent pas d’Anne Boyer, sur son cancer, Les Humilié.es Rozenn Le Carboullec, Arpenter la nuit de Leila Mottley, une autrice américaine et Diaty Diallo. Il y a aussi Lauren Hough, La Fureur de Vivre et Avec mon meilleur souvenir de Françoise Sagan, qui compile différentes nouvelles sur des rencontres qu’elles a faites. Il y en a une, notamment, qui parle de Carson McCullers.
Si tu ne devais garder qu’un seul livre ?
Il y en a tellement mais, justement, je pense que ça serait Le Coeur est un chasseur solitaire de Carson McCullers. C’est un livre qui a vraiment été important dans ma vie ; je suis justement en train de le relire. J’adore le travail de cette autrice, qui raconte vraiment l’Amérique des marginaux, avec des personnages anticonformistes, des féminités un peu contrariées. J’adore aussi Frankie Addams, de cette autrice : c’est d’ailleurs en référence à ce livre que le personnage principal de Féminin, mon dernier roman s’appelle Frankie. Carson McCullers a une vision super moderne pour les années 40.
Quel est le dernier livre qui t’ait vraiment plu ?
Comment sortir du monde, de Marouane Bakhti : c’est un premier roman, sorti depuis plusieurs mois déjà. Il a le charme du premier roman, c’est très beau. Il y a vraiment une poésie, ça dit quelque chose de très profond.
Quel livre lis-tu pour te donner du courage ?
Les Despentes, comme King Kong Theory. J’aime aussi relire Apocalypse Bébé, qui a un peu vieilli mais qui reste super avec des personnages dont on croirait qu’ils sortent d’un jeu vidéo ! J’aime son écriture, elle est l’une des seules en France à avoir une écriture dans laquelle elle a intégré beaucoup de pop culture. Il y a un truc addictif, de l’ordre de la série, avec en même temps des questionnements humains vraiment pertinents.
Une lecture à conseiller pour entrer dans le féminisme ?
Annie Ernaux, Mémoire de fille, ou Les Années. Après il y a tous les livres Virginie Despentes, géniaux.
Quel livre attends-tu dans la prochaine rentrée littéraire ?
Le nouvel essai de Naomi Klein, Doppelganger : A Trip into the Mirror World, qui est un peu un la poursuite de No Is Not Enough: Resisting Trump's Shock Politics and Winning the World We Need, qui s’intéresse à la montée des extrêmes en temps de crise. Ce sera un bon Naomi Klein.
Un livre que tu conseillerais pour un enfant ?
Il y en plusieurs que je lis à mon fils : Doudous Pride (Valentine Goby), qui est pas mal. Patatouille, écrit par Tiffany Cooper, super sympa. Ou ceux que j’ai lus quand j’étais enfant, comme L’Enfant et la Baleine, de Benji Davies, ou Le Chien bleu (Nadja).
Une lecture d’été que tu as particulièrement aimée ?
Là où vivent les gens heureux de Joyce Meynard, que j’ai trouvé vraiment très beau. C’est marrant parce qu’il m’a beaucoup touchée, pour des raisons que j’ignore d’ailleurs, parce qu’au début je n’avais pas particulièrement accroché. Elle a une histoire un peu forte : elle était la maîtresse de Salinger. Elle a écrit un livre sur cette relation, Et devant moi, le monde, qui avait fait un peu scandale.J’aime aussi les livres de Rebecca Lieghieri, qui est le pseudonyme d’Emmanuelle Bayamack-Tam, comme Les Garçons de l’été. C’est une bonne lecture de vacances.
Un livre que tu as beaucoup offert ?
Récemment, mon copain et moi avons beaucoup offert à des amis masculins La Volonté de changer de bell hooks, un livre super intéressant sur l’amour et la masculinité. C’est marrant, parce que les hommes l’appellent « le livre mauve ». Je trouve que c’est intéressant de le propager.
J’ai aussi beaucoup offert Eileen Myles, une autrice queer qui a écrit sur sa vie à San Francisco dans les années 90. Il y aussi Retour à Reims, de Didier Eribon. Et No Logo de Naomi Klein, c’est super aussi. Un dernier livre que j’ai adoré Avant que je n’oublie d’Anne Pauly, dans lequel elle évoque sa relation avec son père.
Une librairie préférée ?
J’aime bien Un livre une tasse de thé, dans le 10e, une librairie féministe. La régulière, aussi, dans le 18e.
L’actu de Claire Touzard
Claire travaille sur un troisième livre, entre récit et réflexions “ un peu comme Sans Alcool” sur la résilience, qui paraîtra prochainement chez Grasset. Claire est également scénariste.
Sans Alcool et Féminin, Claire Touzard, aux éditions Flammarion
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