Tous les matins du monde

La newsletter qui te parle littérature (mais pas seulement)

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Par Sarah Braun
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Le syndrome de l'imposteur

Vous êtes abonné.e à la version gratuite de « Tous les matins du monde », ma lettre virtuelle littéraire, et je vous en remercie. Chaque mois, je me donne pour mission de guider vos lectures en partageant mes derniers coups de coeur. J’espère que ces contenus gratuits vous donneront envie de vous abonner à ma newsletter payante !

Vous aurez sûrement remarqué que, depuis que j'ai créé cette lettre littéraire, j'ai pas mal tâtonné. Je dois reconnaître que ce n'est pas forcément évident de trouver sa place dans cet océan de newsletters qui affluent depuis plusieurs mois dans vos boîtes mail. De trouver le bon sujet, et, surtout, de trouver les mots justes pour que vous ayez envie de me lire régulièrement.

Je n’aurais jamais trouvé l’espace ailleurs que dans ce format pour vous parler de livres. Choisir de créer mon média, cette newsletter, c’était me donner la liberté d’être qui je voulais, de parler de ce dont j’avais envie. De vous parler un peu de moi aussi, à travers mes lectures. J’ai d’abord réfléchi à un format rigide, hérité de mes dix années de presse magazine où il ne fallait jamais dépasser d’un signe au risque de se faire couper sauvagement lors du bouclage (true story). Au fil des newsletters, je me surprends à avoir envie de raconter les livres de façon différente à chaque fois.

Dans la dernière, justement, je vous expliquais que je lisais beaucoup pour être consolée, d’où cet attrait magnétique pour les livres du deuil, des lectures pas franchement gaies. J’ai bien songé à vous chroniquer le dernier Boule & Bill, pour changer un peu de registre, mais finalement c’est une autre expérience littéraire que j’ai eu envie de partager avec vous.

Récemment, j’ai élargi mon champ des possibles en dévorant de nombreux essais. Mais pas n’importe lesquels : des essais féministes. Je vous mentirais si je vous disais que je n’ai pas fait 25 brouillons à cette newsletter tant il m’est difficile d’aborder ce sujet. Car j’ai beau lire, lire et lire encore, je ne me sens pas légitime pour vous en parler. Je pourrais vous exposer toutes les raisons qui me font douter de moi sur ce coup-là, mais ce n’est pas le sujet.

Aussi, je vais tâcher de vous expliquer par quelles lectures le féminisme est entré dans ma vie. Et a forcément tout fait valser. N’allez pas imaginer pour autant que je n’en avais aucune conscience jusqu’alors. Mais le fait est que je suis née en 1983, et que j’ai été biberonnée au patriarcat. Et je m’en accommodais plutôt bien, vu que je n’avais jamais connu que ça.

« Se déconstruire, c’est l’affaire de toute une vie. » Deux de mes amies - peu ou prou mon âge - m’ont dit cette même phrase à quelques jours d’intervalle seulement. Preuve en est que je ne suis pas la seule à m’interroger sur le sujet. 

Je suis donc une féministe complexée, qui a longtemps refusé de s’y intéresser parce que je pensais ne pas y être autorisée, et surtout parce que je me trouvais loin d’être irréprochable. Jusqu’au jour où j’écoute l’excellent podcast de Tiffany Cooper « Va vers ton risque » : l’invitée était la journaliste Fiona Schmidt. Elle y expliquait, entre autres (le sujet de l’épisode est son désir de non-maternité), comment elle était venue au féminisme et citait Roxane Gay, et son livre Bad Feminist. L’autrice américaine part de ses propres contradictions pour prouver qu’il n’est pas nécessaire d’être parfaite pour défendre l’égalité des sexes. Dans la foulée, je lis Futur.es de Lauren Bastide. L’idée d’un féminisme écologique me séduit, et j’adhère totalement à son idée selon laquelle « un seul et même mouvement a engendré le sexisme, la destruction du vivant et le racisme »*. 

Récemment, j’ai lu Défaire le discours sexiste dans les médias de Rose Lamy. Comprendre comment elle s’est éveillée au féminisme m’autorise également à reconnaître un avant et un après, même si je ne sais pas exactement quel événement l’a déclenché chez moi. Pour elle, Marie Trintignant venait d’être assassinée par Bertrand Cantat. Par la même occasion, le livre de Rose Lamy m’ouvre les yeux sur la violence ordinaire, qui s’est insinuée partout dans les médias et qui tend à asseoir une culture patriarcale qui rejette la faute sur les victimes et invisibilise les agresseurs. C’est une lecture passionnante, mais harassante et terrifiante : je passe mon temps à ajuster mes jugements, à faire un pas de côté pour me rendre compte à quel point la culture patriarcale a pétri ma façon de penser.

Et justement parlons-en, des médias. Féminin de Claire Touzard m’avait complètement enthousiasmée. Pour avoir travaillé une petite décennie dans un féminin, je me suis reconnue totalement dans l’absurdité et le non-sens de la presse féminine étranglée par le poids des annonceurs, par l’absence de liberté qui régit ces titres que je lisais avec empressement depuis mon adolescence (je ne lis d’ailleurs quasi plus de presse féminine, tant ma propre expérience, confortée par le discours de Claire Touzard m’a dégoûtée). Beauté Fatale de Mona Chollet dresse aussi le même (triste) constat ; comment le capitalisme et le patriarcat ont créé cette Barbie parfaite - blanche et super gaulée - qu’on voit sur toutes les couvertures des magazines. Quand on met une femme noire (ou grosse) en cover, c’est pour faire bien et pour l’image, et certainement pas parce qu’on est féministe (true story, again). 

Pour finir, je vous parlerai de violence. Celle des hommes, de tous les hommes, celle que raconte Mathieu Palain dans Nos Pères, nos frères, nos amis - Dans la tête des hommes violents. Une lecture franchement déconcertante (quand elle n’est pas franchement stupéfiante) et surtout pessimiste. Comment imaginer pourvoir déconstruire en trois jours de stage de sensibilisation aux violences conjugales des années de patriarcat ancrées dans la tête des hommes rencontrés par le journaliste ? 

Enfin, cette semaine j’ai aussi écouté la série documentaire « Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour » d’Ovidie et j’ai été choquée en constatant que ma vision de l’amour et du couple avait longtemps été biaisée par le joug du patriarcat. Cette idée puissante selon laquelle tu dois forcément galérer pour que le mec s’intéresse à toi, pour le garder ensuite parce que toutes les autres meufs peuvent te le piquer (la rivalité féminine, elle aussi exacerbée par le patriarcat, lisez l’excellent Rivalité, nom féminin de Racha Belmehdi : je n’en suis qu’au début, mais je vais sûrement vous en parler dans un avenir proche !). Le jour où je me suis retrouvée dans une relation saine, j’ai paniqué : forcément je ne savais pas faire.

Un dernier conseil pour la route ?

J’ai terminé hier l’incroyable série Fleishman is in trouble (sur Disney +) : casting de folie + adaptation d’un roman par son autrice herself = petite merveille. Toby se réveille un matin avec ses enfants dans l’appartement un jour en avance : Rachel les a déposés au beau milieu de la nuit pour s’offrir une escapade dans un centre de yoga. Mais elle disparaît. On commence par réexaminer leur mariage à travers les yeux de Toby, pour finalement changer de point de vue et comprendre que les choses ne sont ni noires ni blanches. Claire Danes y est époustouflante. Foncez !

Merci d’être arrivé.e.s au bout de cette lettre, qui j’espère vous a plu et vous aura envie de lire encore plus. Dans ma newsletter (payante) du 1er avril, je vous parlerai de Vieille Fille, de Marie Kock. A bientôt !

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